La Tazara Railway opère une ligne ferroviaire entre Dar es Salam et Mbeya.

Reportages

Tour du monde épisode 11 : à la recherche de Kirikou

© Elodie Rothan

C’était le deal. «Tant pis pour l’Asie, on fait une croix dessus, d’accord». J’avais quatre yeux, deux noirs et deux bleus, braqués sur moi. «D’accord maman, on reste en Afrique. Mais alors, on va voir le village de Kirikou». «Kirikou?». Je visionnais vaguement des huttes en terre crue et des toits de palme. «D’accord», répondis-je, un peu circonspecte. C’est ainsi que nous renonçâmes à l’Asie. Un continent entier. Et remîmes à nouveau tous nos projets à plat.

J’avais lu que 80% des voyageurs en tour du monde faisaient l’impasse sur l’Afrique. Nous allions donc faire l’inverse. L’idée ne me déplaisait pas. Je n’étais cependant pas certaine de trouver le village de Kirikou en Afrique.

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La récolte des algues, à marée basse, à Zanzibar
La récolte des algues, à marée basse, à Zanzibar Elodie Rothan

Nous débarquâmes ainsi à Zanzibar, heureux de découvrir un autre pan de ce continent décidément pluriel. Avec sa longue histoire arabe (l’archipel fut longtemps possession d’Oman), l’île nous offrait une transition parfaite avec l’Égypte. Bercés par les appels du muezzin, nous nous laissâmes envelopper par la langueur des îles. Les burqas noires firent place à des tissus chamarrés, éclatant de couleur, éclairés de visages souriants. Au petit matin, à marée basse, nous assistions à la lente et méticuleuse récolte des algues, plantées dans la mer comme d’étranges potagers aquatiques. Les journées s’écoulaient, douces et limpides. Il était temps de partir, d’aller fouler ce continent immense.

La Tazara Railway opère une ligne ferroviaire traversant tout le pays, depuis Dar es Salam jusqu’à Mbeya. C’était notre plan. Facile. Pour envisager sereinement ce long trajet, il nous fallait néanmoins l’assurance d’obtenir une cabine avec couchettes. Une simple réservation. Facile. Après une dizaine d’emails restés sans réponse, une vingtaine d’appels émis vers d’innombrables numéros récupérés sur des sites plus ou moins officiels, des blogs ou des forums, nous finissons par tomber sur une certaine June. Elle nous valide notre réservation. De vive voix. Point. Pas de numéro de dossier, pas de confirmation écrite, rien. Le jour du départ, nous arrivons, un peu fébriles, au guichet.

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Sympathiquement défraichi, le train de la Tazara Railway traverse des paysages sublimes.
Sympathiquement défraichi, le train de la Tazara Railway traverse des paysages sublimes. Elodie Rothan

Nous y récupérons une sorte de post-it griffonné d’inscriptions incompréhensibles. C’est notre billet. Nous avançons sur le quai, dubitatifs, au milieu de la foule compacte et interpelons un employé, qui nous accompagne calmement jusqu’à notre couchette. L’improbable a fonctionné.

En montant à bord de ce wagon sympathiquement défraichi, nous nous disons: «c’est ainsi que nous aurions dû voyager depuis le début». Oui, mais voilà. Il nous a fallu 7 mois pour en arriver là. Arriver à nous délester de nos peurs, de nos habitudes de confort standardisé, de nos angoisses de timing, et j’en passe. 7 mois pour se sentir à l’aise à peu près n’importe où, pour rester zen avec en poche un billet de train à l’allure de post-il. 7 mois pour se sentir, enfin, légers. C’est long. Presque tout le temps de notre périple, finalement. Et si peu par rapport au tempo de notre vie.

Le temps de transport annoncé était de 24 h. Il en durera 36. Nous serons arrêtés 8 heures, au milieu de nulle part, attendant l’arrivée d’une nouvelle locomotive. «Cela arrive», nous explique-t-on placidement. Nous traversons des paysages splendides et longeons, parfois, quelques villages. Les maisons toutes simples ont des murs en terre cuite et portent des toits de paille ou de taule. Tout autour se tissent des sentiers poussiéreux où les gens déambulent à pied et les enfants jouent avec trois bouts de bois. Ma fille alorss’exclame: «Maman, regarde, c’est génial, ils ont comme un grand jardin commun! Tout autour des maisons, il y a des jardins, mais il n’y a pas de barrière. Mais c’est beaucoup mieux que chez nous! Au moins, on peut jouer ensemble, on peut partager. C’est vraiment nul nos barrières». Ce n’était peut-être pas exactement Kirikou, mais c’était bien parti.

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Elodie Rothan

C’est à peu près là que quelque chose a basculé. Au début, c’était à peine perceptible. Quelques regards, un enfant qui se cache les yeux, des gens qui pouffent. Puis, c’est devenu évident. Nous étions les seuls blancs à bord. Ici on dit Mzungu. Nous devenions une attraction à nous-seuls. Nous étions blancs et ça les faisaient marrer. «Mzungu! Mzungu!» se disaient-ils entre eux comme si c’était la meilleure des blagues. La maman du petit garçon qui se cachait les yeux – 3 ans peut-être – nous confirma qu’il n’avait jamais vu «des gens comme nous». Petit à petit, ses mains s’écarteront et il osera un peu nous observer. Ici, l’éternelle question touriste VS voyageur n’a plus lieu d’être. On est blanc, tout simplement. La question semble même totalement saugrenue. On est Mzungu. Et ça, ça les fait bien rigoler. D’ailleurs, si je dis un truc ou fais quelque chose, ils sont hilares. C’est possible qu’ils se foutent de moi. Mais ils ont un rire spontané, large et communicatif. Alors, je ris aussi.

C’est devenu une habitude. Partout, les gens nous abordent, nous parlent, nous sourient. Certains même nous prennent en photo. Ma fille, blonde aux yeux bleus, a un succès fou. Chaque jour, elle a des dizaines de chérubins potelés, les yeux écarquillés devant elle, riant et l’entourant constamment… Oublié Kirikou!

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